« Pendant longtemps, l’approche économique laissait penser que les décisions hors de la sphère personnelle étaient prises de façon rationnelle, qu’elles étaient basées sur des analyses et des informations, explique Richard Guay, professeur titulaire de finance à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM, spécialiste de la finance comportementale. Maintenant, on comprend mieux comment les gens se comportent : même dans le domaine financier, les décisions ne sont pas prises froidement et elles ne sont pas toujours rationnelles. »
Quand les émotions influent sur les décisions
Insécurité, peur de la perte, aversion au risque, optimisme démesuré, traumatisme lié à son histoire personnelle, tous ces biais ressortent dans le choix d’un placement ou d’une option financière. « Nos perceptions sont teintées et interprétées selon ce qu’on a vécu et ce qui fait le plus partie de nous : nos peurs », indique Josée Blondin, psychologue et fondatrice d’Intersources, un cabinet-conseil en psychologie et développement organisationnel, spécialiste de la finance comportementale.
Les émotions peuvent être source de mauvais choix, car elles peuvent troubler l’analyse objective de la situation. C’est ainsi que des investisseurs vont vendre trop rapidement un titre qui baisse depuis peu au lieu de prendre le temps d’analyser froidement la situation et de surveiller son évolution.
À l’inverse, l’immobilisme paralyse certains individus, qui préfèrent attendre une hypothétique embellie économique pendant trop longtemps. « L’aversion pour les pertes est l’un des biais les plus courants. Certaines personnes ont beaucoup de réticence à vendre un titre pourtant en chute. Elles focalisent sur la perte immédiate, plutôt que de voir ce qui leur en coûtera au final si elles vendent quand le titre aura perdu encore plus de valeur. Tant que le titre n’est pas vendu, la perte est théorique, ce qui les rassure faussement », précise Richard Guay.
Autre biais fréquent : la confiance excessive. « C’est quand une personne a tellement confiance en son jugement qu’elle évalue mal le risque. Elle peut alors mettre toutes ses économies dans un seul titre parce qu’elle est convaincue qu’il va donner de bons rendements sans prendre en compte les menaces existantes. Même en présence d’arguments objectifs, elle ne réussit pas à changer d’idée et s’entête à faire, parfois, un mauvais choix », poursuit l’expert.
L’influence des biais cognitifs
Les biais cognitifs sont une autre catégorie de facteurs qui influent sur la prise de décision. Ils ont davantage d’emprise sur les investisseurs qui maîtrisent moins bien le domaine financier et les disciplines connexes (les mathématiques notamment). « Pour faire une analogie, une personne qui joue à la roulette pourrait vouloir miser sur le rouge parce qu’il est sorti les dix dernières fois et qu’il voit là une tendance. En connaissant les lois de la probabilité, cette personne prendrait une autre décision », explique Richard Guay.
Des automatismes propres à la plupart des humains se greffent aux émotions pour fausser le jugement des investisseurs. Le mimétisme et le suivisme sont des biais bien connus. « Ça prend du courage et une certaine confiance en soi pour prendre des décisions hors des sentiers battus », souligne Josée Blondin. La plupart du temps, les êtres humains préfèrent donc suivre le mouvement. C’est plus rassurant… Mais pas toujours gagnant.
Développer les bons réflexes
Tous ces biais ont une incidence sur les décisions financières sans que les individus en soient conscients. « De tous les biais, les émotions sont le plus difficiles à éviter », reconnaît le professeur en finance. C’est pourtant possible de rationaliser ses choix et de réduire le risque d’erreurs. Voici cinq bons réflexes à développer :
1. Prendre du recul
« Avant de prendre une décision financière, il vaut mieux s’accorder un temps de recul et ensuite, une fois son choix fait, lâcher prise : on n’a pas de pouvoir sur l’économie ni le marché alors on ne peut pas prévoir ce qui va arriver », explique Josée Blondin. Ce temps d’arrêt, même s’il est court, « permet au raisonnement de faire son travail. Prendre son temps atténue l’effet des émotions sur la décision », précise Richard Guay.
2. Apprendre à se connaître
S’il est impossible de rationaliser entièrement nos décisions, bien se connaître permet de réduire les effets pervers des émotions. « Faire de l’introspection et apprendre de ses erreurs sont des moyens qui mènent à prendre de meilleures décisions. » Apprendre à se connaître, dresser des objectifs de vie et des bilans réguliers aident à faire de meilleurs choix selon ses attentes personnelles », recommande Josée Blondin.
3. Analyser de façon plus poussée
La prise en compte de données objectives pour motiver ses décisions reste la solution la plus efficace pour rester le plus rationnel possible et atténuer l’influence des émotions. S’informer des tendances, respecter les ratios, garder un sens critique face à des mouvements de masse, analyser les résultats du secteur, des entreprises, observer les cours, être à l’affût des informations sont des habitudes fondamentales à adopter. « Pour faire des choix éclairés, il faut développer une curiosité intellectuelle », affirme Josée Blondin.
4. Récolter de nombreux avis
Une bonne façon de contrebalancer sa subjectivité consiste à échanger avec d’autres personnes. « Le simple fait de poser la question nous force à enclencher notre raisonnement. Devoir argumenter pour expliquer son point de vue permet au cognitif de prendre le dessus », mentionne Richard Guay.
5. Diversifier son portefeuille
Sachant que personne ne pourra jamais être totalement rationnel, autant être prévoyant. Alors, tout en appliquant les conseils précédents, « diversifiez vos portefeuilles », martèle Richard Guay. En cas d’erreur, les pertes seront ainsi limitées.
Connaître les enseignements de la finance comportementale est essentiel pour une bonne compréhension des comportements financiers. La connaissance de ceux-ci permettra aussi d’améliorer le processus de prises de décision afin de réduire les erreurs liées à l’influence des émotions ou des biais cognitifs.